IA et santé : applications, stratégie française, exemples concrets d'usages
L’intelligence artificielle s’impose désormais comme l’un des moteurs majeurs de transformation du système de santé. Son développement rapide ouvre des perspectives qui touchent à l’ensemble de la chaîne de valeur : amélioration du diagnostic, optimisation des parcours de soins, personnalisation de la prévention, soutien à la décision clinique, pilotage des organisations, anticipation des crises sanitaires ou encore gestion des ressources hospitalières. Les avancées en matière d’algorithmes, la montée en puissance de l’IA générative et l’augmentation continue des volumes de données de santé créent aujourd’hui un environnement inédit, où l’innovation technologique rencontre des attentes fortes des professionnels comme des patients.
Mais cette dynamique s’accompagne de défis majeurs. Les enjeux de qualité et de structuration des données, la nécessaire transparence des usages, la maîtrise des risques, l’évaluation médico-économique des solutions ou encore l’accompagnement des changements organisationnels constituent autant de conditions indispensables pour assurer une intégration sûre, éthique et efficace de l’IA en santé. Au-delà de la technologie elle-même, c’est l’ensemble du système qui doit évoluer : gouvernance, cadre réglementaire, compétences professionnelles, environnement numérique, souveraineté, confiance citoyenne.
C’est dans ce contexte que le ministère de la Santé et de la Prévention a publié la stratégie « Intelligence artificielle et données de santé 2025-2028 »
le système de santé français génère une quantité considérable de données issues des soins, de la recherche, des registres ou des cohortes. Ces données constituent un patrimoine immatériel majeur, indispensable pour mieux comprendre l’état de santé de la population, soutenir l’innovation et orienter les politiques publiques. Leur utilité repose cependant sur leur structuration, leur protection et leur mise à disposition dans un cadre de confiance.
Cette stratégie nationale s’inscrit dans un contexte européen marqué par l’entrée en vigueur en 2025 de l’Espace européen des données de santé, qui harmonise les règles de réutilisation des données à l’échelle des 27 États membres. À partir de 2029, les pays devront garantir la mise à disposition de données de santé d’intérêt dans des environnements sécurisés, sous l’autorité d’organismes responsables de l’accès aux données.
Dans ce cadre, la France fait le choix d’articuler étroitement la politique d’IA en santé et la politique de données de santé, considérant que l’une ne peut avancer sans l’autre : la performance des modèles d’IA dépend de la disponibilité, de la qualité et de la gouvernance des données utilisées.
Les expérimentations d'utilisation de l'IA dans le secteur médical sont nombreuses et variées, couvrant plusieurs domaines clés :
- Diagnostic et imagerie médicale : L'IA est utilisée pour l'analyse automatisée d'images médicales (radiographies, scanners, IRM) grâce au deep learning. Les algorithmes détectent des micro-anomalies parfois invisibles à l'œil humain, améliorant ainsi la précision des diagnostics.
- Personnalisation des traitements : L'IA permet de personnaliser les traitements en fonction des caractéristiques spécifiques des patients, ce qui contribue à une meilleure efficacité thérapeutique et à une réduction des hospitalisations et interventions chirurgicales.
- Détection du cancer du sein : Les systèmes d'IA utilisés dans le dépistage par mammographie identifient avec une précision remarquable des signes précoces de cancer du sein.
- Gestion des données médicales : L'IA améliore la gestion des données médicales en permettant une interaction fluide entre les différents acteurs de la santé, réduisant ainsi les erreurs et augmentant la sécurité des patients.
- Détection des interactions médicamenteuses : Des outils sont en développement pour détecter les risques d’interaction médicamenteuse, un enjeu crucial pour la sécurité des patients.
- Optimisation organisationnelle : pilotage des établissements. Les outils permettent notamment de prédire les flux patients aux urgences, de planifier les blocs opératoires ou d’ajuster les ressources humaines en fonction de l’activité attendue, d'optimiser les tâches administratives, gestion documentaires, dossier patients, facturation, plannings...
Plusieurs hôpitaux français de pointe intègrent aujourd’hui des projets d’intelligence artificielle directement liés à leurs domaines d’excellence.
À l’Institut Curie, établissement reconnu pour son expertise en oncologie — notamment dans les cancers féminins, pédiatriques et les sarcomes — des projets s’appuient sur l’analyse automatisée des images et la radiomique pour affiner la caractérisation des tumeurs et orienter les indications thérapeutiques. Ces approches contribuent à améliorer la précision diagnostique et à personnaliser davantage les traitements.
À l’Hôpital Européen Georges-Pompidou, centre de référence en cardiologie et en chirurgie cardiaque, l’IA est utilisée pour analyser des examens d’imagerie avancée, évaluer les risques opératoires et optimiser le suivi postopératoire. Des outils prédictifs sont également mobilisés pour anticiper l’affluence dans les services d’urgence et ajuster les ressources en temps réel.
Au CHU Pitié-Salpêtrière, établissement de premier plan en neurologie, l’IA contribue à la détection plus rapide des accidents vasculaires cérébraux, à l’interprétation des imageries cérébrales ou à l’analyse fine des pathologies neurodégénératives. En chirurgie oncologique, des outils d’analyse automatisée des images opératoires facilitent la planification des gestes complexes et renforcent la précision des actes.
L’Institut Gustave Roussy (Villejuif) a lancé un partenariat avec Lifen sur la cohorte LUCC de patients atteints de cancer du poumon. L’étude conduite sur 1 057 patients a montré que la saisie automatisée par IA présentait une concordance de 91,9 % avec la saisie manuelle.
Autre exemple : le projet DOSELIA, coordonné par Gustave Roussy, vise à améliorer la radiothérapie pédiatrique grâce à l’IA et réduire les effets secondaires à long terme.
Shockmatrix — IA d’aide au triage des patients graves
- Shockmatrix a été développée en collaboration entre un hôpital universitaire (CHU de Grenoble) et une entreprise de conseil/technologie (Capgemini).
- Le principe : dès l’admission d’un patient traumatisé (blessures graves, suspicion d’hémorragie, etc.), des données simples et rapidement accessibles sont saisies dans une application mobile (fréquence cardiaque, signes vitaux, etc.). L’IA, formée sur des dizaines de milliers de cas passés, fait alors une estimation de la gravité, du risque d’hémorragie, et du besoin éventuel de réanimation.
- Lors d’une étude menée dans 8 hôpitaux universitaires français (1 292 cas), l’IA s’est montrée presque aussi performante que les médecins pour repérer les patients nécessitant une réanimation intensive (170 cas identifiés), manquant 20 cas tandis que les médecins en ont manqué 21 — mais pas les mêmes, ce qui suggère un rôle de “vérification croisée”.
L’objectif à terme : que l’IA alerte ou confirme les suspicions des médecins, sans les remplacer — un outil d’aide à la décision, pour gagner en rapidité et en sécurité au moment critique de l’arrivée aux urgences.